Carte du monde entouré de fils barbelés

Un autre regard sur : la conférence d’Évian en 1938 : le monde refuse d’accueillir les juifs

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Avec l’annexion en mars de l’Autriche par l’Allemagne nazie, puis celle de la région des sudètes en septembre, 1938 est une année charnière. Ces annexions amplifient l’émigration des juifs fuyant les persécutions nazies.

Au moment de l’accession au pouvoir des nazis en 1933, les juifs représentaient moins de 1% de la population en Allemagne. Nombre sont partis dans les pays voisins France, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Tchécoslovaquie où beaucoup seront plus tard arrêtés par les nazis et en Suisse, également plus loin, aux états unis, en Palestine, en Amérique latine, et même en Asie. Iels le font sous la pression nazie qui multiplie les brimades et persécutions, les lois antisémites de 1935, qui les privent de leurs droits civiques, pour créer une Allemagne « nettoyée des juifs ».

Le président américain Roosevelt ne veut pas remettre en cause la politique américaine de quotas d’immigration extrêmement sévère, qui discriminait les groupes considérés comme indésirables d’un point de vue racial et ethnique. Pour répondre aux mouvements juifs, il va botter en touche en proposant une Conférence internationale pour les Réfugiés afin de soi-disant «faciliter l’émigration des réfugiés politiques en provenance d’Autriche et probablement d’Allemagne».

Elle se réunit du 6 au 14 juillet 1938 à Évian, en France. Trente-trois pays ont invités, pas l’Allemagne, ni le Portugal de Salazar. L’Italie refuse de venir en solidarité avec Berlin. L’URSS et la Tchécoslovaquie ne s’y font pas représenter.

32 pays sont là, souvent venus à reculons : 9 européens, 20 latino-américains.

Les uns après les autres, les délégués expriment leur compassion envers les réfugiés, sans mentionner les juifs, pas plus que la politique antisémite des nazis, mais tous refusent d’en accepter davantage.

Un seul fait exception : le dictateur de la République dominicaine, qui vient de massacrer 20 000 Haitien·nes est disposé à accueillir 100 000 réfugiés juifs contre subventions car il souhaite « blanchir » sa population, cette offre est repoussée.

Le délégué australien déclare que : « Dans les circonstances présentes, l’Australie ne peut faire plus… Nous n’avons pas de problème racial notable et nous ne voulons pas en importer un ».

Le canadien, lui estime qu’accueillir un seul réfugié serait déjà trop.

La Suisse rétablit des visas avec l’Allemagne et lui demande de tamponner la lettre J sur les passeports de ses ressortissants juifs afin de pouvoir plus facilement les identifier et les repousser à sa frontière !

Le Royaume-Uni refuse de délivrer des autorisations vers la Palestine.

La France, qui a établi en 1932 la préférence nationale dans le marché du travail et déterminé des quotas d’ouvriers étrangers dans les entreprises, est sur la même position avec l’Algérie ou d’autres territoires d’outre-mer, un moment évoqués pour l’accueil des juifs. La peur des rouges est bien plus développée que l’antinazisme au sein de l’administration française, comme le montrera l’incarcération dans les camps d’internement des « étrangers indésirables », puis l’arrestation des ressortissants du Reich en 1939 – dont nombre de réfugiés politiques antifascistes.

La presse allemande, triomphante, titre au lendemain de la conférence : « Juifs à vendre ; même à bas prix, personne n’en veut ! ».

Quelques mois plus tard, en novembre 38, les pogroms meurtriers de la Nuit de Cristal 100 morts et 30 000 juifs internés, ne changeront rien. Pas plus les Américains que les autres ne modifieront leur politique de quotas.

La résolution approuvée par l’unanimité décidera de créer … un Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR).

Cette conférence d’Evian de 1938 fait partie de ces décisions meurtrières d’une violence incroyable, dont les possédants sont habituels. Combien de dizaines, de centaines de milliers de juives et de juifs périront à cause des refus de la conférence, impossible de le dire.

Mais la décision prise par ces quelques dizaines d’hommes assemblés à huis-clos autour d’un tapis vert, dans la sécurité, dans le confort de locaux somptueux, sans gestes désordonnées, sans éclats de voix, n’aura jamais de sanction politique… Leur responsabilité profonde dans ce crime s’est évanouie dans l’oubli.