Un autre regard sur : les génocides tropicaux (fin XIXe début XXe)

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C’est le titre d’un livre écrit par le géographe, historien, militant politique de gauche américain, Mike Davis. Il y analyse les raisons de la mort de 50 millions de personnes en Inde, au Brésil, en Chine et en Afrique entre les années 1876 et 1902.

La sécheresse et les inondations déclenchées par le phénomène climatique connu aujourd’hui sous le nom d’El Nino provoquèrent des épidémies dévastatrices parmi les habitants affaiblis par la famine, l’exode des populations rurales et des révoltes brutalement réprimées. En Éthiopie et au Soudan près d’un tiers de la population périt.

Chaque vague de sécheresse, chaque catastrophe permet des avancées impérialistes, car les empires saisissent l’occasion pour exproprier les terres communales, accaparer des ressources agricoles et minières, voire même de se tailler de nouvelles colonies.

Si c’est le phénomène El Nino, provenant de bouleversements du système climatique qui déclenche la situation catastrophique, elle a été aggravée de façon meurtrière par les colonisateurs, qui ont imposé dans ces pays l’économie de marché, instauré le marché libre des céréales au niveau mondial. Les prix sont fixés par le marche mondial, sans aucun rapport avec la réalité des échanges locaux. La concurrence provoque un effondrement des revenus agricoles du Brésil aux Philippines de l’Inde à l’Afrique, et lors des périodes de pénurie des envolées des prix.

Les petites réserves locales de céréales sont emportées dans ce grand marché, les communautés villageoises qui organisaient la gestion collective des catastrophes naturelles, la réciprocité traditionnelle sont détruites, isolant les victimes face aux ravages provoqués par la concurrence mondiale.

Dans l’Inde britannique, des millions de personnes meurent aux portes d’entrepôts pleins de céréales stockées pour spéculer sur la hausse des prix, quand elles ne sont pas exportées vers l’Angleterre grâce aux chemins de fer nouvellement installés, ou sur les chantiers de construction des canaux et de voies ferrées, en étant moins nourries que dans les camps de concentration allemands de la seconde guerre mondiale.

En Chine, les administrations provinciales sont en faillite, car les grandes puissances étrangères étranglent financièrement le pouvoir central après leurs interventions militaires visant à imposer des concessions dans les ports, l’introduction du commerce forcé à la suite des guerres de l’Opium. Il n’est plus possible de faire parvenir des réserves de céréales aux régions décimées par la famine.

Au Brésil, les négociants engrangent des profits spectaculaires, au lieu de soulager les régions dévastées par la famine, pendant que l’église prêche que la sécheresse est le « châtiment infligé au Brésil pour avoir accepté les mœurs matérialistes1 ». Comme en Inde les paysans affamés servent de main d’œuvre à bon marché dans les chantiers favorables aux grandes sociétés capitalistes.

On trouve des situations similaires en Corée, avec comme puissance coloniale le Japon, au Vietnam avec la France, dans l’actuelle Indonésie avec les Pays Bas, aux Philippines avec l’Espagne puis les États Unis, en Afrique toutes les puissances européennes …

Un exemple parmi tant d’autres, aux Philippines, face à un mouvement populaire, le nouvel occupant, les États unis détruit les réserves de riz et de bétail des régions résistantes et procède ensuite à des regroupements des populations rurales.

La catastrophe que représente la mort de millions de personnes dans le dernier quart du 19ème siècle a été un choix politique aux effets majeurs :

Durant les deux siècles de la domination britannique en Inde, entre 1757 et 1947, le revenu par habitant n’a pas progressé, il a même régressé de 50 % dans la seconde moitié du 19ème siècle.

Au Brésil, économiquement dominé par les investisseurs et créanciers britanniques, la croissance du PIB par habitant au cours du 19ème siècle a été nulle, alors que celle du Mexique était de 150 %, des États Unis de 600 %.

Mike Davis résume ce choix en une phrase «  la route de la généralisation du libre marché capitaliste aux colonies [était] a été pavée par les cadavres des pauvres ».

C’est à ce moment que prend forme le développement inégal entre les puissances coloniales, impérialistes, et leurs colonies, une inégalité entre les nations qui perdure aujourd’hui.

1« Génocides tropicaux » p 96