Vision artistique d'une manifestation de rue en Belgique lors de la grève générale pour le droit de vote.

Un autre regard sur : la grève générale belge pour le droit de vote

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La grève générale d’avril 1913 en Belgique occupe une place particulière dans l’histoire du mouvement ouvrier, tant par son objectif, celui d’arracher le suffrage universel pour les hommes que par la manière dont la grève a été préparée et menée.

Sous la pression de deux grandes grèves ouvrières spontanées, en 1891 et 1893, le vote plural avait été instauré en 1894. Ce système inégalitaire réduisait le vote des ouvriers, en effet, si chaque homme de plus de 25 ans avait 1 voix, les riches et les diplômés avaient 2 voix en plus. Le Parti Ouvrier a d’abord essayé d’obtenir un droit égalitaire par des alliances au sein du Parlement. Devant l’échec de cette tactique parlementaire, la fureur et l’exaspération pousse la masse des ouvriers à recourir à la grève de masse pour faire céder le pouvoir.

La direction du Parti Ouvrier et la fraction parlementaire socialiste proposent, pour dompter une dynamique de grève spontanée, impétueuse, l’organisation systématique et méthodique d’une grève de masse, pour faire une pression politique tout en évitant de créer une situation incontrôlable, une situation révolutionnaire. Comme l’expliquait Émile Vandervelde, le président du Parti, « Nous ne voulons à aucun prix de grève générale impulsive et tumultuaire qui partirait sans être préparée…».

Le congrès du parti vote la préparation de la grève et met en place un « Comité national du suffrage universel et de la grève générale » avec les délégués du parti et de toutes les organisations ouvrières, syndicats, coopératives notamment.

Pour préparer la grève, des centaines de comités se mettent en place et mettent en place une propagande par meetings, manifestations et brochures diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires, constituent un fonds pour se doter de finances par les dons d’autres partis et la vente de « bons de la grève générale », organisent l’exode des enfants des grévistes vers les villes du Nord de la France qui en accueillit près de 5000 et de la Hollande environ 2000, ainsi que l’approvisionnement en vivres. Des milliers de volontaires participent à toutes ces activités, avec la volonté d’un contrôle « sérieux et efficace des grévistes »pour éviter les troubles, pour garantir à la grève son caractère pacifique. Par exemple presque toutes les Maisons du Peuple interdisent le débit de bière et de spiritueux pendant la grève. Un corps de surveillance composé de militants est chargé de faire la police dans les locaux du parti et les lieux de réunion. Des conférences récréatives, des visites aux musées, des promenades champêtres, des réunion sportives sont organisés par la centrale d’éducation ouvrière.

Neuf mois de préparation pour arriver au déclenchement de la grève, et plus approche le jour de l’action, plus l’enthousiasme grandit.

Du côté du gouvernement, on veille à empêcher tout mouvement dans les chemins de fer, les postes, les services publics. Malgré les efforts des organisateurs pour éviter tout désordre, il y a un déploiement extraordinaire de force armée, des banderoles sont accrochées « soldats ! Ne tirez pas sur les grévistes pacifiques ».

Il y eut plus de 400 000 grévistes sur un million de salariés. La grève fut suivie à 100 % chez les typographes, 90 % dans l’industrie de la chaussure, 60 % chez les métallos, 30 % dans les services publics, 13 % dans le bâtiment, 4 % dans le textile. Les régions industrielles sont bloquées, au port d’Anvers un solide piquet de 500 dockers garantit l’arrêt du travail des milliers d’ouvriers occasionnels.

La grève dura dix jours, du 14 au 24 avril 1913, durant lesquels le parti ouvrier multiplie les contacts avec les responsables politiques libéraux pour tenter d’obtenir leur soutien et décide de l’arrêter à la suite d’une promesse de commission de révision constitutionnelle … qui ne sera pas tenue !

Rosa Luxembourg, dirigeante de l’internationale socialiste, critique ces méthodes, reproche à la direction du parti belge de considérer la grève comme un simple moyen de renforcer sa position dans la négociation parlementaire, et non comme un élément de la construction d’un rapport de force visant à changer la société : « Détachée de l’action spontanée, la grève générale devient une manœuvre stratégique exécutée à la baguette qui ne peut qu’échouer neuf fois sur dix. »

En novembre 1918, à la fin de la guerre, alors que dans la foulée de la révolution russe de 1917, la révolution allemande a éclaté à Berlin, le roi Albert 1er instaure le suffrage universel pour les seuls hommes, car il faudra attendre 1948 pour les femmes.