le droit de grève : manifestants grévistes dans la rue.

Un autre regard sur : Le droit de grève

Podcast

Avoir le droit de faire grève et avoir le rapport de forces pour se mettre en grève sont deux choses distinctes.

On entend souvent des salarié·es de petites entreprises dire qu’ils et elles ne peuvent pas faire grève, en fait ils et elles ont le droit de faire grève, mais ne se sentent pas avoir les moyens d’exercer cette liberté.

Aujourd’hui en France l’interdiction absolue ne touche que peu de professions, comme la police, l’administration pénitentiaire, les magistrats … d’autres sont soumises à un service minimum comme les contrôleurs aériens ou les agents hospitaliers, d’autres à l’obligation de se déclarer gréviste comme les cheminots, sans parler du préavis qui ne concerne les agentes et agents des services publics, pas les salarié·es des entreprises privées.

Cela n’a pas toujours été le cas !

Depuis qu’existe un statut de type salarial, la grève a toujours existé, mais ce ne n’est pas la même chose d’être en grève quand on est un canut lyonnais en 1831, un métallo en 1936, un mineur en 1948 et un ou une gréviste aujourd’hui.

Ce droit est un combat permanent.

Car la grève a été interdite, considérée comme un délit une bonne partie du 19ème siècle.

C’est la révolution française qui décide cette interdiction de toute organisation et de toute grève notamment par la loi Le Chapelier de juin 1791. Elle n’est pas adoptée par hasard, elle est votée à l’unanimité des constituants en réponse à des grèves en cours, des charpentiers notamment. Pour les députés sont « attentatoires à la liberté des droits de l’homme » les réunions collectives d’ouvriers et ouvrières, l’organisation collective comme que seront les syndicats et les partis, et bien sûr la grève, appelée coalition. Ces textes seront précisés par Napoléon au moment de l’instauration du code pénal qui prévoit des peines de prison en cas de grève.

Des milliers, peut-être même des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs seront emprisonné·es au cours du 19° siècle au seul motif d’avoir fait grève.

En 1864, sous la pression des grèves ouvrières, un premier verrou saute.

Le droit de grève est dépénalisé : la grève devient légale, on ne peut plus emprisonner pour ce motif.

Mais cela ne règle pas tous les problèmes, la grève peut justifier le licenciement, car le ou la salarié·e n’est pas venu travailler. Entre 1864 et 1946, des dizaines de milliers de grévistes seront licenciés en application de cette loi. Sans compter celles et ceux qui seront emprisonné·es pour violences, piquets de grèves.

Par exemple en 1920, 18 000 cheminots seront licenciés suite à une tentative de grève générale. En 1936, le déclenchement des grèves au Havre fait suite au licenciement de syndicalistes grévistes du 1er mai, qui n’était alors pas férié.

Faire grève pendant toute cette période c’est s’exposer au licenciement !

En 1946 le préambule de la constitution reconnaît le droit de grève « dans le cadre des lois qui le réglementent », mais cela n’empêche pas la violente répression contre la grève des mineurs de 1948, 6 morts, près de 3000 poursuites et révocations.

Il faut attendre 1950 pour que la loi dispose explicitement que « la grève ne rompt pas le contrat de travail ».

Enfin ! On ne peut plus être licencié au seul motif qu’on a fait grève. En 1985, sera même prévue la nullité d’un licenciement prononcé pour ce motif, ce qui implique réintégration … à l’exception d’une « faute lourde imputable au salarié ».

Mais depuis 1950 les limitations se sont empilées à la suite de mouvements de grève qui ont mis les patrons et le gouvernement en difficulté. Par exemple l’instauration du préavis pour les services publics en 1963 est une réponse à une grève surprise du métro parisien.

La logique actuelle des gouvernements est de rendre plus difficile l’exercice du droit de grève, et surtout lui faire perdre une part de son efficacité.

D’où les législations sur les préavis, l’obligation de se déclarer gréviste.

D’où l’utilisation de plus plus fréquente d’une loi introduite en 2003 et modifiée en 2007 qui prévoit la possibilité pour le Préfet de réquisitionner les grévistes en cas d’urgence lors d’une atteinte constatée ou prévisible au bon ordre.

Cette loi élargi considérablement la limitation du droit de grève, puisqu’elle autorise tout préfet à prendre des arrêtés réquisitionnant les grévistes.

Pour conclure, la grève est autorisée, la loi limite, mais ce qui reste décisif c’est le rapport de force politique, économique et social qui peut la faire évoluer dans un sens, ou dans l’autre : les conditions d’application du droit de grève sont une sorte de thermomètre du rapport de forces entre les classes.