Un autre regard sur la conquête de l’Algérie par la France

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Elle commence en 1830 par la facile prise d’Alger, le vol du trésor de la ville, suivis de l’organisation de razzias pour briser les débuts de résistance. Tout cela en tentant une négociation avec des dirigeants locaux, dont l’émir Abd el-Kader. Mais la volonté coloniale se heurte à la résistance algérienne, et va imposer pour garantir la domination sur le pays, une conquête de l’ensemble du territoire.

Bugeaud est nommé gouverneur général en 1840. Il dispose du quart de l’armée française, plus de 100 000 hommes pour « pacifier » la colonie, comme le dit le vocabulaire officiel.

En fait, il engage une guerre totale qui va durer 7 ans, avec une violence terrible contre la population civile, une politique de terre brûlée, on détruit et on brûle tous les douars, les villages, on disperse les habitantes et les habitants. Comme le dit un général : l’objectif est d’« anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens ». Les résistances sont fortes et Bugeaud déclare : « Si ces gredins [les Arabes] se retirent dans leurs cavernes, (…) fumez-les comme des renards. ». Se multiplient les terribles enfumades, nom donné à la méthode qui consiste à contraindre la population à se réfugier dans des endroits isolés, en l’occurrence des grottes, puis les brûler et / ou les asphyxier.

Pour en illustrer la violence, quelques mots sur la plus connue, celle du Dahra. La colonne exterminatrice de 2000 soldats français fait le vide devant elle, incendie les villages, détruit les récoltes, pousse les insurgé.es et la population à se réfugier dans les grottes du Frechich. Comme ils refusent de se rendre, le colonel Pélissier fait allumer un feu qui dure toute la journée et une partie de la nuit à l’entrée de la grotte, à l’intérieur de laquelle il y avait entre 700 et 1200 hommes, femmes, enfants, vieillards. Aucun ne survivra. La description dans la presse est terrible « .. Rien ne pourrait donner une idée de l’horrible spectacle que présentait la caverne. Tous les cadavres étaient nus, dans des positions qui indiquaient les convulsions qu’ils avaient dû éprouver avant d’expirer. Le sang leur sortait par la bouche. Mais ce qui causait le plus d’horreur, c’était de voir des enfants à la mamelle gisant au milieu des débris de moutons des sacs de fèves, etc ». Il est impossible d’étouffer le scandale, le débat va jusqu’à la Chambre. Pélissier est défendu par Bugeaud qui déclare que l’enfumade était un « événement cruel mais inévitable » car «  il était important pour la politique et pour l’humanité de détruire la confiance que les populations du Dahra et de beaucoup d’autres lieux avaient dans les grottes» et finit par promouvoir Pélissier, qui terminera sa carrière comme gouverneur général à Alger.

Du fait des massacres, des déportations, des famines ou des épidémies, selon Olivier Lecour Grandmaison, c’est un tiers de la population qui sera ainsi exterminée en 40 ans!

La conquête de l’Algérie s’accompagne en outre dès le début d’une colonisation de peuplement, composée de migrant.es fuyant la misère, français, espagnols et italiens, de militants républicains que le pouvoir peut éloigner de Paris, et de militaires qui deviennent des colons en s’installant et aménageant le territoire conquis. Les terres sont confisquées, accaparées par la force. En 1847, plus de 100 000 européen.nes sont arrivés, iels sont majoritaires à Alger et Oran, monopolisent le commerce avec la France.

La colonisation crée une violence qui ne s’arrête jamais, a tel point qu’un siècle après, entre 1956 à 1962, dans les montagnes de l’Aurès et du Djurdjura, l’armée française a utilisé à nouveau des gaz toxiques dans les grottes servant de refuge aux combattants de l’Armée de Libération Nationale et aux populations fuyant les représailles. On ne connaît pas le nombre de victimes des 95 opérations qui ont été menées entre 1959 et 1961.

Comme l’écrivait le martiniquais Aimé Césaire dans son discours sur le colonialisme :

«  la colonisation est une tête de pont de la civilisation dans la barbarie d’où, à n’importe quel moment peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation »