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Le racisme sous la forme que nous connaissons est daté.
Il est né dans le contexte idéologique du 19 ème siècle occidental, et se matérialise par la colonisation et en France par l’affaire Dreyfus, au moment même où les conceptions égalitaires prenaient leur essor, à partir des grands principes de la Révolution française.
Déjà la mise en esclavage des populations africaines par le commerce triangulaire se fait en désignant les esclaves par leur couleur de peau, comme l’affirme le code noir, en les assignant à l’esclavage.
Mais c’est au 19ème siècle qu’apparaît une théorie raciste, dite « scientifique ».
Elle se répand avec le développement des sciences naturelles.
A la suite des travaux de classification de la nature par Buffon et Linné, des naturalistes, des anthropologues et des biologistes, cherchent à classifier le genre humain en variétés, à trouver une justification aux différences sociales. Des scientifiques français de renom, comme Georges Cuvier, un anatomiste qui pense que la race noire « est la plus dégradée des races humaines, dont les formes s’approchent le plus de la brute, et dont l’intelligence ne s’est élevée nulle part au point d’arriver à un gouvernement régulier 1», défendent la classification des races et contribuent à légitimer « scientifiquement » l’esclavage et la colonisation qui est alors en pleine expansion, ainsi que l’exploitation des classes dominées. La très officielle société d’anthropologie promeut ces positions qui se diffusent. En 1853, Arthur de Gobineau publie L’Essai sur l’inégalité des races humaines qui vulgarise la pensée raciste.
Ceux qui défendent l’égalité des races, combattent l’esclavage, la colonisation existent, mais sont bien peu nombreux·es, comme Condorcet, Africanus Horton, Joseph Anténor Firmin, ou Louise Michel.
Car les républicains s’emparent de ces soi disant théories, comme Jules Ferry qui au parlement défie ses opposants « de soutenir jusqu’au bout [votre] [la]thèse qui repose sur l’égalité, la liberté et l’indépendance des races inférieures […] Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures […] » ; comme Paul Bert, ce fondateur de l’école « laïque, gratuite et obligatoire » qui joue un rôle important dans l’intégration de ces thèses dans les manuels scolaires qui seront utilisés jusqu’aux années 1930.
On trouve ainsi dans les Premières notions de zoologie2, 1882 : « Les Nègres, peu intelligents, n’ont jamais bâti que des huttes parfois réunies en assez grand nombre pour faire une ville ; ils n’ont point d’industries ; la culture de la terre est chez eux au maximum de simplicité. […]. Bien au-dessus du Nègre, nous élèverons l’homme à la peau jaunâtre […]. Il a fondé de grands empires, créé une civilisation fort avancée […] mais tout cela semble de nos jours tombé en décadence […]. Mais la race intelligente entre toutes, celle qui envahit et tend à détruire ou à subjuguer les autres, c’est celle à laquelle nous appartenons, c’est la race blanche. »
Malheureusement, de nombreux socialistes leur emboîtent le pas à leur manière, comme Louis Blanc, défendent l’idée d’un « colonialisme humanitaire », estiment que la civilisation française représente la forme la plus élevée des mœurs occidentales, qu’elle a pour mission de civiliser non seulement les Européens, mais aussi les peuples « arriérés », qu’elle a le droit moral de conquérir des colonies à cause du « caractère altruiste » de son peuple.
Nous le savons maintenant, toutes ces théories du 19e siècle sont fausses. Nous savons que les humains ne peuvent être divisés en groupes distincts, que la race n’a pas de réalité biologique mais reste une construction sociale, que nous sommes une seule espèce humaine, génétiquement indivisible, que toutes les caractérisations utilisées alors s’appuyaient sur des stéréotypes culturels projetés pour décrire de manière située et utile à l’entreprise coloniale, les prétendus caractère, intelligence et comportement des colonisé·e·s.
Mais cette construction sociale opère encore et toujours aujourd’hui, de manière répétitive, insidieuse, permanente.
1Cité par Jean Philippe Omotunde, La traite négrière : vérités et mensonges, Ménaiduc 2004, p. 9
2Masson 1882 Notions de zoologie , classe de huitième