Un autre regard sur : les conseils ouvriers en Italie, le biennio rosso

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Le bieno rosso est ainsi une poussée révolutionnaire peu connue qui bouleverse l’Italie pendant les deux années rouges, 1919-1920.

Dans les villes du nord, Milan, Turin le développement industriel fait naître un prolétariat d’usine très concentré. Les bourses du travail constituent une sorte d’état major du monde ouvrier, tant dans les villes que dans les campagnes de la vallée du Pô, organisent des coopératives de consommation et de production. Le Parti Socialiste Italien qui regroupe tous les socialistes, y compris ceux qui vont devenir communistes après, est puissant, il recueille plus de 30 % aux élections, contrôle les municipalités ouvrières, le syndicat majoritaire, la CGL qui a plus de 2 millions d’adhérents, en tout plus de 4 millions de travailleurs sont membres d’organisations, bourses du travail, associations.

La paix provoque des faillites dans l’industrie de guerre qui était soutenue jusque là par l’état : le niveau de vie de la classe ouvrière s’effondre. Un vaste mouvement contre le renchérissement de la vie se développe.

Les paysans occupent les terres, en s’affrontant aux bandes armées organisées par les propriétaires.

Du côté des villes industrielles, les grèves spontanées se succèdent dans tout le pays. Dans des dizaines de villes les ouvriers organisés procèdent à les réquisitions de denrées alimentaires. Ailleurs les foules prennent d’assaut les boulangeries, les magasins, dans des affrontements qui font des dizaines de morts. Les bourses du travail prennent la direction administrative de certaines villes, distribuent le pain, les vivres.

A Turin, les courants les plus radicaux, libertaires et surtout ceux qui vont fonder le Parti Communiste plus tard, poussent à ce que des conseils d’usine se mettent en place et contrôlent la production, pour la révolution. À la fin de l’année 1919, toutes les usines métallurgiques ont élu un conseil. Ces conseils chassent les mouchards, dictent une nouvelle discipline interne, remplacent les primes individuelles par des primes collectives, améliorent les conditions de sécurité et de travail. Ils exercent une partie du pouvoir réel dans les usines.

Le 3 décembre, face à une attaque fasciste, ils sont capables de mobiliser en une heure 120 000 ouvriers organisés en bataillons prolétariens.

Ce type de conseils s’étend dans le nord de l’Italie, et même à Naples.

Les grèves et les occupations d’usine se multiplient à partir de février 1920, il y aura un dizaine de grèves générales, elles obtiennent souvent la reconnaissance par les patrons du pouvoir des conseils ouvriers.

A Turin lorsque le gouvernement veut envoyer la troupe pour libérer l’usine Fiat, elle est bloquée par les cheminots, le cuirassé qui arrive pour les suppléer trouve le port de Gênes en grève. Mais isolée cette grève est défaite.

La majorité de la CGL, socialiste, condamne les conseils d’usine, qui poussent à la révolution. Mais propose d’organiser la diminution des cadences de travail pour des augmentations de salaire.

Quand l’action commence et que les patrons lockoutent, ferment les usines, l’occupation se généralise partout. Parfois les patrons sont mis à la porte, d’autres partent d’eux-mêmes. Les travailleurs organisent la production, les approvisionnements, dans l’ordre et la discipline ouvrière. Souvent l’occupation est armée, les usines sont transformées en forteresses, gardées par des gardes rouges. Mais les conseils ouvriers ne touchent pas à l’état italien, à ses fonctions, et ne posent jamais la question du pouvoir politique central.

Le Parti Socialiste qui refuse la révolution, et la CGL poussent à la négociation : une augmentation de salaire est donnée, des jours fériés, et la promesse d’une loi sur le contrôle ouvrier dans les entreprises qui ne sera jamais déposée.

En effet dès que les occupations cessent, parfois difficilement, le vent tourne, les capitalistes passent à la contre attaque, licencient les meneurs.

C’est l’échec et le reflux. La situation révolutionnaire de l’été 1920 est passée, on entre dans une nouvelle période qui va voir la montée en puissance et la prise du pouvoir par Mussolini en 1922.