Un autre regard sur les insurrections des canuts

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Ces insurrections de 1831 et 1834 marquent l’entrée d’une nouvelle classe sociale sur la scène de l’histoire, la classe ouvrière.

La ville de Lyon est prospère, elle concentre 52 000 ouvriers et ouvrières de la soie, réparti.es dans 30 000 ateliers. Apprentis, ovalistes, dévideuses, compagnons et chefs d’ateliers, celles et ceux que l’on appelle les canuts, travaillent entre 15 et 18h par jour, au service des 5 à 600 marchands-fabricants qui leur commandent des étoffes. Depuis les années 1790, les canuts revendiquent l’existence d’un tarif, un prix de façon pour chaque étoffe, pour éviter la négociation individuelle et la fluctuation des prix.

En mars 1831, face à l’augmentation des impôts, cette revendication refait surface. Les chefs d’ateliers mettent en place une Commission qui organise des assemblées dans toute la ville, et les manifestations des canuts contraignent les marchands-fabricants à signer un accord sur un tarif… qu’il s’empressent de dénoncer, soutenus par le gouvernement.

En réponse, le 21 novembre la grève est totale, la manifestation des canuts est mitraillée par une légion de la garde nationale composée principalement de fabricants. C’est l’insurrection, des barricades sont construites dans le quartier de la Croix Rousse, une d’entre elles arbore un drapeau noir, la couleur du deuil, marqué de la devise « vivre en travaillant ou mourir en combattant », les canuts sont rejoints par des ouvriers d’autres corporations. Ils s’emparent des casernes et des arsenaux, libèrent les prisonniers pour dette. L’état envoie 20 000 soldats pour écraser l’insurrection et imposer l’abandon du tarif.

La mobilisation des canuts ne faiblit pas, alors que des luttes dans toute la France se multiplient, en février 1834 une nouvelle grève est organisée, cette fois-ci par la Société du devoir mutuel sur laquelle il faut dire quelques mots.

Elle a été créée quelques années avant, en 1828, en opérant la rupture avec les traditions anciennes du compagnonnage, qui opposaient les ouvriers des corporations différentes, elle regroupe tout.es les ouvrières et ouvriers de toutes les professions de la soie. L’insurrection de 1831 en a fait un groupe de plus en plus revendicatif, en même temps qu’elle a tourné les canuts vers le mouvement républicain, qui les a défendu contre la répression avec une structure unitaire le Comité d’ensemble, qui regroupe les sociétés républicaines et les délégués mutuellistes de différentes professions. Cette évolution vers le combat politique est renforcée par les attaques du gouvernement.

Contre la liberté de la presse qui concerne aussi l’écho de la fabrique, journal dirigé et rédigé par des ouvriers canuts qui exprime les avancées politiques du milieu en écrivant par exemple « Toute la classe des travailleurs s’ébranle et part à la conquête d’un monde nouveau ».

Contre la liberté d’action des associations qui touche en même temps la Société du devoir mutuel que les associations républicaines comme la Société des droits de l’homme.

A la suite de la grève de février 1834, des ouvriers sont inculpés, à l’époque le fait même de faire grève est un délit qui peut conduire à la prison, et une nouvelle grève est appelée au moment de leur procès. La mobilisation s’amplifie, des manifestations sont organisées, et le 9 avril, les barricades transforment le quartier de la Croix Rousse en véritable camp retranché. D’autres quartiers ouvriers se soulèvent, la Guillotière, Vaise, l’insurrection dans laquelle sont unis les canuts, les autres professions ouvrières et les républicains gagne une partie importante de la ville.

L’objectif est de renverser le gouvernement, la Monarchie de juillet, et de proclamer la République. L’insurrection lyonnaise et les barricades parisiennes en soutien seront réprimées très violemment, plus de 200 insurgés y sont assassinés, des centaines d’insurgés emprisonnés et jugés l’année suivant dans un procès monstre à la mesure de la crainte de la bourgeoisie et de l’état comme l’écrit un journal réactionnaire « La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas » , on ne peut mieux dire !