Un autre regard sur : l’affaire Jules Durand

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La belle époque ne l’a pas été pour tout le monde. C’est une période de féroce répression contre les luttes ouvrières qui ont alors une ampleur considérable.

Ce qui va devenir l’affaire Jules Durand est significative de cette férocité, comme des effets de l’hystérie organisée par les campagnes médiatiques.

Nous sommes en 1910, au Havre, parmi les dockers charbonniers, ces centaines de journaliers payés à la tâche qui gagnent une misère pour un travail exténuant, vivent dans des conditions épouvantables.

Leur syndicat CGT vient d’élire un nouveau secrétaire, un syndicaliste révolutionnaire, pacifiste, membre de la Ligue des Droits de L’Homme, militant antialcoolique, colombophile, auditeur assidu de l’université populaire de la bourse du travail, qui impulse un nouveau dynamisme à la section syndicale.

C’est une période où l’introduction de nouveaux procédés de déchargement fait disparaître nombre d’emplois, ce qui aggrave encore la situation des charbonniers.

En août 1910, ils se mettent en grève « contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour une hausse des salaires, pour le paiement des heures supplémentaires et l’installation de douches sur les quais».

Les patrons décident l’épreuve de force car ils veulent éliminer le syndicat. Ils embauchent des jaunes payés double, organisent des provocations. La police multiplie les arrestations pour entrave à la liberté du travail des jaunes.

Dans ce climat, le 9 septembre, dans un bistro du port, un jaune ivre sort un revolver contre quatre charbonniers grévistes non syndiqués, ils se battent, il est roué de coups et meurt le lendemain. Les quatre agresseurs sont arrêtés.

La plus grande compagnie, la Transat, achète dix témoins qui attestent que cet assassinat a été voté par l’assemblée générale à l’instigation de Jules Durand.

Deux jours après la rixe, Jules Durand et deux autres responsables du syndicat sont arrêtés. Alors que les indicateurs de la police, les auteurs de l’assassinat dénoncent cette version, la presse s’acharne contre les syndicalistes soutenus par la CGT.

Dans cette période tout est bon pour affaiblir la CGT dirigée par des syndicalistes révolutionnaires, arrestations de dirigeants, assassinats de grévistes comme les 4 morts et cent blessés de Villeneuve Saint Georges deux ans avant.
L’instruction est menée à charge contre Jules Durand : une caricature de procès se tient deux mois après les faits et Jules Durand est condamné à mort le 25 novembre, les auteurs de l’assassinat à des peines de travaux forcés. A l’annonce du verdict il tombe en syncope, on le revêt d’une camisole de force, à l’isolement total dans le couloir de la mort.

En réaction une grève générale paralyse le Havre, la CGT placarde des affiches « ce qui fut fait pour l’officier Dreyfus devrait être fait pour l’ouvrier Durand ».

Des grèves sont organisées dans les docks en Angleterre et aux États-Unis par la Fédération internationale des ports et docks.

La ligue des droits de l’homme lance un vaste mouvement de protestation, les parlementaires multiplient les prises de position.

Face à ce mouvement, le président de la république commue un mois après le jugement la peine de mort en sept ans de réclusion criminelle, et quelques mois après le libère.

Malheureusement, Jules Durand n’a pas supporté l’affaire, la camisole et l’isolement : il ne retrouvera jamais la raison et mourra à l’hôpital psychiatrique, incapable de prendre connaissance de la proclamation de son innocence en 1918.

Mais jamais aucun patron du havre, aucun de ces accusateurs payés par les patrons n’a été inquiété. Cette erreur judiciaire a été oubliée, dissimulée, ce qui continue à faire vivre le crime.

Contribuer à faire connaître cette affaire est indispensable,

bien sur pour la mémoire de Jules Durand

mais aussi pour dissuader les successeurs de ceux qui ont organisé ce crime de recommencer.