Un autre regard : La grève des ouvrières de Limoges contre le droit de cuissage en 1905

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La seule revendication est le départ d’un contremaître pratiquant sur les ouvrières le droit de cuissage.

En ce début du 20ème siècle à Limoges la principale activité industrielle, la porcelaine atteint son apogée. Elle occupe 40% de femmes, qui sont, en moyenne, payées deux fois moins que les hommes et affectées aux ateliers les plus dangereux pour la santé. En même temps leur embauche massive éclate la structure familiale rurale traditionnelle et la place des femmes dans la société.

Elles sont massivement syndiquées, représentent 42 % des membres de la Chambre syndicale de la porcelaine et dans la région, l’année 1905 est l’apogée du socialisme, du syndicalisme ouvrier, de la combativité ouvrière, situation qui permet aux ouvrières qui avaient déjà fait part de ces violences sexuelles sans être entendues, de chercher à mettre un terme au droit de cuissage.

Les contremaîtres décident des salaires, des embauches, des places, des niveaux hiérarchiques, ils focalisent donc les luttes contre eux. Chez Haviland le contremaître Penaud ” réserve le bon travail à ses créatures. On ne peut gagner sa vie sans s’être assuré, par des amabilités, des gracieusetés, des dons – en nature et en argent – de la bienveillance du contremaître… Les femmes et les jeunes filles sont soumises à des exigences de caractère particulier. »

C’est le refus du droit de cuissage qui déclenche la grève le 28 mars 1905. La propagation de la grève est rapide, le 2 avril elle est totale dans l’usine, qui est fermée par le patron, alors qu’elle s’élargit à d’autres usines de la ville dans les jours suivants. Les réunions à la Bourse du Travail se terminent par des manifestations de rue : tout cela montre que cette question du droit de cuissage concerne toute la population ouvrière.

La ville est socialement et politiquement coupée en deux. Les contremaîtres sont l’objet de sifflets, de huées, de crachats, des pierres jetées contre leurs maisons. Le patron Haviland, les contremaîtres sont pendus en effigie, les non grévistes sont poursuivi-es, molesté-es. Les patrons organisent un lock out : 19 fabriques de porcelaine sur 32 sont fermées.

Le patronat refuse toute négociation, il s’agit pour eux de savoir qui a l’autorité dans l’usine, qui choisit les contremaîtres, il refuse tout renversement même symbolique de l’ordre des pouvoirs.

Les ouvrières et ouvriersdéfendent leur dignité. Les ouvriers qualifiés qui sont exclus du processus de production, voient leurs acquis remis en cause, refusent le pouvoir disciplinaire humiliant qui leur est imposé. Ce refus de l’autoritarisme et de l’injustice est le ciment qui permet l’alliance des hommes et des femmes, renforcée par la conscience de classe à Limoges. Comme ils et elles le disaient : « Pour la sauvegarde de l’honneur des femmes, aussi bien que pour le respect de la dignité des hommes, travailleurs c’est vrai, mais citoyens libres aussi, il ne peut y avoir de toute puissance patronale. »

La violence des manifestations croît dès l’entrée de l’armée dans la ville, décidée par le Préfet. La situation prend alors une tournure nettement insurrectionnelle. C’est l’émeute, l’entrée des ouvriers dans les usines pour déloger les personnes qui y travaillent encore, l’attaque contre la prison pour délivrer les personnes qui ont été arrêtées, des barricades sont dressées. La troupe « charge et tire sans sommation sur une foule réfugiée au jardin d’Orsay». Un jeune peintre sur porcelaine de 20 ans est tué, et d’autres manifestant.es blessé.es. s.

Le 20 avril, les funérailles sont suivies par des dizaines de milliers de personnes.

Le 24 avril, c’est la victoire Haviland décide d’ouvrir sa fabrique sans la présence du contremaître Penaud .


Une femme syndicaliste, la “citoyenne Sorgue” a écrit magnifiquement sur cette grève si importante pour l’histoire ouvrière :

«C’est l’admiration de tout le prolétariat qu’ils méritent. Ils ont fait preuve d’une conscience, d’un courage, d’un héroïsme sans pareils. Et ce sont surtout les femmes que je salue, elles qui n’ont pas eu peur d’offrir leurs poitrines aux baïonnettes. Votre attitude prouve que vous avez conscience des souffrances de la femme prolétarienne. »

Salut et honneur à vous, ouvrières et ouvriers de Limoges.