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La guerre civile espagnole comportait un problème colonial qui pouvait être décisif pour la révolution, celui de la zone du Rif.
En effet l’armée de Franco s’appuyait surtout sur les troupes marocaines, principalement recrutées parmi les montagnards du Rif, qui avaient déjà réprimé violemment l’insurrection des Asturies en 1934. Un soulèvement riffain présentait un intérêt militaire : il aurait pris Franco dans un étau et aurait donc favorisé une victoire des forces républicaines.
Cette possibilité a réellement été discutée entre le gouvernement de Front Populaire dirigé par le socialiste Largo Caballero, ancien dirigeant du syndicat socialiste UGT, et le mouvement national marocain. Son échec fait partie des occasions ratées de la guerre civile espagnole.
Lorsque les nationalistes marocains commencent les négociations, il s’appuient sur la position des socialistes espagnols, pour la reconnaissance du droit des marocains à l’autodétermination politique, y compris le droit à l’indépendance.
Introduits en Catalogne par les trotskystes français, les dirigeants nationalistes marocains rencontrent d’abord les trotskistes du POUM, puis le Comité Central des Milices Antifascistes dominé par les anarchistes de la CNT et la FAI. Au bout d’un mois de négociation est élaboré un projet de traité d’indépendance qui maintenait des liens très étroits entre l’ancienne métropole et l’ancienne colonie. Les Marocains s’affirmaient prêts à engager un soulèvement militaire dans le Rif espagnol à la condition que leur indépendance soit reconnue.
Tous les partis catalans et le gouvernement de la Generalitat de Catalogne approuvent ce texte qui devient un traité officiel avec la Délégation marocaine au cours d’une cérémonie tout-à-fait officielle. Les contacts sont pris avec les tribus marocaines du Rif, la question théorique de l’argent et des armes est réglée, les opérations militaires peuvent commencer assez vite.
Toutefois la Generalitat de Catalogne ne peut décider à la place de la République espagnole, avec laquelle une nouvelle négociation s’est alors engagée.
D’autant que le problème d’une alliance avec les nationalistes marocains dépasse le cadre espagnol. Si l’Espagne contrôle le Sahara et la région du Rif au nord du Maroc et les villes de Ceuta, Tetouan et Melilla, la France coloniale domine l’essentiel du Maroc actuel et voit d’un mauvais œil une indépendance du Rif. L’autre puissance coloniale, la Grande Bretagne, est inquiète des répercussions d’une agitation révolutionnaire au Maroc sur l’Égypte et la Palestine.
Le gouvernement de Largo Caballero est donc soumis à une pression très forte de Paris et de Londres qui avaient été informés de ce projet et y étaient absolument hostiles. En conséquence, le gouvernement espagnol refuse de contre-signer le traité de Barcelone, mais déclare qu’il est prêt à donner de l’argent et des armes pour que les opérations se fassent.
Mais les dirigeants nationalistes marocains, qui sortent d’une guerre du Rif qui a duré 6 ans, de 1921 à 1927, au cours de laquelle ils ont été battus grâce à l’apport des armées françaises et britanniques en appui des troupes espagnoles débordées, exigent pour se lancer dans une nouvelle guerre l’adoption par le gouvernement du traité négocié à Barcelone.
Le désir du gouvernement républicain de ne pas mécontenter les puissances européennes le conduit à renoncer à la position du part socialiste dont le président est membre, sur le droit à l’autodétermination des peuples coloniaux pouvant aller jusqu’à l’indépendance. Ce faisant, il se prive de la possibilité de frapper Franco au cœur de la région sur laquelle il s’appuie. Il se prive également d’un instrument essentiel dans une guerre : insuffler le défaitisme au sein des troupes marocaines de la contre révolution, car la proclamation de l’indépendance du Rif par la république espagnole aurait pu avoir des conséquences majeures sur le moral de ces troupes.
L’hypothèse d’une opération militaire était loin d’être hasardeuse. Lorsque commence la guerre de libération du Maroc en 1955, l’armée de Libération Nationale qui va imposer le retrait des puissances coloniales est majoritairement composée de troupes combattantes et de dirigeants militaires provenant de cette région du Rif.